Je me hais certains matins. Je me réveille, je vois ce visage, ce corps qui se reflètent devant moi, dans le miroir de la salle de bain ; et je hais ce que je vois. Parfois, j’arrive à ignorer cette sensation au fond de moi. Je parviens à faire abstraction de ce vide qui se creuse en moi. L’impression constante d’un malaise que je ne parviens jamais bien à saisir. Et d’autres, ça me percute en pleine face. J’ai pleuré sous ma douche tout à l'heure, sans aucune raison vraiment identifiée. J’évite de baisser le regard sur ce ventre toujours trop gras, toujours trop. Je me suis maquillée, et j’ai fais semblant, toute la journée. J’ai même accepté d’aller manger ce burger avec Rory, parce que foutu pour foutu. Je passe le seuil de ma porte, j’appelle : sans succès. Je me souviens alors que ma mère est de sortie ce soir et qu’Andy a prévu d’aller chez une amie également. J’aurais aimé du bruit, des rires ; mais c’est un silence pesant qui répond à mes paroles. Je me sens pas bien. Et ce burger qui me pèse sur le bide, parce que je peux plus manger autant sans avoir l’impression que je vais exploser. Merde, je me sens vraiment pas bien. Je passe en mode automatique ; sans une once d’hésitation. J’ai trop pris l’habitude de répéter le même schéma. Manger ; puis éliminer. J’enfile mes affaires de sport, un legging et un sweat bien trop grand. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, je lace mes baskets comme un robot. Je veux juste que cette sensation s’en aille. Je ferme la porte, lance ma playlist pour courir le soir. Mes jambes semblent vivre indépendamment du reste, elles s’élancent ; et cette impression de flotter à chaque rebond me libère enfin. De la culpabilité, du dégoût, de la tristesse. Tout s’envole pour ne laisser que mon souffle de plus en plus irrégulier, mon cœur qui bat bien trop rapidement. Je ne sais pas combien de temps je cours. Tout me semble flou, enveloppé d’une brume. Mes pensées s’apaisent ; la souffrance physique annihile les autres qui se trouvent dans ma tête. Comme une camée en pleine transe, j’ai l’impression de vivre à nouveau. Je me sens légère, malgré la sueur qui me coule dans les yeux. Je veux plus penser. Certains matins, je me hais ; mais la course, l’effort à en crever me permet toujours de tout oublier. Tout est recouvert d’un voile, peu à peu puis soudainement. Un voile dans lequel je me laisse finalement aller avec un certain soulagement.

Le silence a été remplacé par des sirènes ; la nuit par des lumières aveuglantes ; et mon corps qui s’envole dans les airs. J’aperçois rapidement, sans vraiment comprendre, des gens qui s’agitent autour de moi. On me place sur un matelas ; un bruit de camion qui redémarre ; et à nouveau la nuit noire.

« Mademoiselle ? » Qu’est-ce que… ? La voix me semble si lointaine. « Mademoiselle vous m’entendez ? » J’ouvre difficilement les yeux, et je tombe nez à nez avec un brun, assez jeune, en blouse blanche. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? « C’est quoi ce bordel ? », je grommelle, encore complètement dans les vapes. Toujours aussi éloquente ma vieille, bravo.

À l’hôpital ? Je tente de me redresser rapidement, tous les sens en alerte. Néanmoins, mon élan est vite stoppé par une vague de fatigue, qui m’enserre comme un étau. Je dévisage ce docteur Campbell, c’est comme ça qu’il s’est présenté, pendant quelques secondes. Il s’occupe de moi ? Mais, je ne suis pas malade ! « J’suis pas malade, pourquoi je suis ici ? Je suis prête à partir, vous savez… » Je me souviens alors de ma course au clair de lune, ce brouillard mental, puis la nuit qui a tout recouvert, qui a recouvert la moindre lumière. « J’ai perdu connaissance ? », je demande nerveusement, les doigts déjà en train de pincer anxieusement la peau de mon poignet gauche. Je regarde à droite, puis à gauche, étudiant rapidement la chambre dans laquelle je me trouve. Je déteste les hôpitaux, leurs lumières blanches, le minimalisme de la décoration… Tout est si flippant, si anxiogène. Je pense alors à ma mère, me mordant la lèvre inférieure en imaginant sa réaction si elle apprenait où je me trouvais en ce moment. Je parle alors précipitamment, les yeux plongés dans ceux du Docteur Campbell : « Ne prévenez pas ma mère, s’il vous plait ! Je ne veux pas qu’elle s’inquiète pour rien… » Parce que c’était rien, je vais bien. Je me rappelle alors que j’ai oublié de répondre à sa question. J’hésite à me présenter avec mon deuxième prénom, mais sa personne m’inspire confiance, m’apaise presque ; je dis alors la vérité : « Oh et, je m’appelle Gaia Hawkins. »