A vrai dire, Judith avait la belle vie. Elle est née et a grandi à Portland, dans l’Oregon, dans un milieu plutôt aisé avec des parents aimants et attentionnés. Elle est fille unique, et oui, elle a été gâtée et choyée par sa petite famille, mais elle n’en a jamais vraiment abusée. Elle a reçu une éducation plutôt stricte, et ses parents lui enseignaient également des principes et des valeurs qui ne la quittèrent jamais tels que la rigueur et l’empathie. Ce n’était pas une enfant difficile, et elle évolua jusqu’à devenir une jeune femme fraîchement diplômée en art, étant attirée tout particulièrement par le dessin et la peinture. Ce n’était pas si étonnant que ça quand on savait que Judith avait toujours eu des crayons et feutres dans les mains et ne les lâchait quasiment jamais, d’autant plus qu’elle considérait que chaque surface blanche devait être égayée quand elle était petite, ce qui pouvait avoir le don d’exaspérer ses parents à l’époque.

C’est pendant ses études d’art qu’elle fit la rencontre de sa vie, du moins le pensait-elle jusqu’à il n’y a pas si longtemps que ça. Un homme, de quatre ans de plus qu’elle, avec un charisme époustouflant et un sourire à en faire évanouir certains et certaines. Tout naturellement, elle tomba également sous son charme, mais n’espérait rien, ne s’imaginant même pas pouvoir vivre une simple soirée en sa compagnie. Il était tuteur dans son université, spécialisé dans le design numérique, et aidait donc les étudiants sur leur différents travaux dans ce domaine. Ils se rencontrèrent donc pour la première fois à l’université, puis il s’est avéré qu’ils se croisaient plus souvent qu’elle ne pouvait l’imaginer. C’était fait exprès, selon lui, car il n’arrivait pas à sortir de sa tête cette « belle brune élancée qui étudiait dans le secteur des arts ». Du coup, quand il venait à se déplacer au sein de l’université, il faisait toujours un détour par la section art, dans laquelle il ne passait que rarement d’habitude, rien que pour la revoir, même de loin. Ce fut lui qui l’invita à dîner la première fois, après quelques semaines à se tourner autour. Ce dîner se termina chez lui, un verre de vin rouge délicieux à la main, sans pour autant qu’un baiser soit échangé entre eux. Un premier rendez-vous soft, mais qui charma encore plus Judith suite à la belle élocution qu’ils avaient entretenu. Il avait beau lui plaire, physiquement et mentalement, elle savait qu’il avait une horde de séductrices à ses pieds, prêtes à tout pour qu’il leur adresse un seul regard. Ca ne l’aurait donc pas étonné qu’il soit un homme à femmes, enchaînant les conquêtes et profitant de sa vie sans engagement. Seulement, plus le temps passait, plus les deux jeunes gens se voyaient, apprenaient à se connaître et finalement tombaient amoureux l’un de l’autre. Il a été présent lors de sa remise de diplôme, il a également été là lors du décès consécutif de ses parents, tout comme il la voyait progressivement se faire un nom en tant qu’artiste peintre. Il était devenu au fil du temps son pilier, sa force, son avenir. Un avenir qui s’annonçait d’ailleurs radieux.

Les années filèrent à une vitesse folle. Ils emménagèrent ensemble, se marièrent deux ans après – un magnifique mariage en bord de mer, à l’aube des trente ans de Judith – la carrière de la jeune mariée était au beau fixe, tandis que lui enseignait toujours à la même université, s’épanouissant dans ce travail à transmettre ses connaissances aux générations futurs. Ils étaient tous les deux très pris par leur profession, mais chacun tenaient à se retrouver chaque soir si possible, c’est-à-dire si l’un n’était pas en séminaire dans un autre état ou si l’autre n’avait pas une exposition de ses œuvres de l’autre côté du pays. Aucune ombre ne semblait entachée cette vie quasi parfaite, à part si ce n’est qu’ils avaient du mal à avoir un enfant. Judith et son mari voulaient former une famille, et ce souhait semblait ne pas vouloir se réaliser. Le pronostique tomba presque immédiatement : la trentenaire était infertile. C’est tout un monde qui s’effondre pour eux, mais ils allaient se soutenir dans cette épreuve, et pourquoi pas adopter un enfant ? Malheureusement, le temps d’attente est extrêmement long, et malgré leur nombreuses relances, la réponse restait la même : « votre dossier est en cours de traitement ». La patience était de mise. Anastasia essayait tant bien que mal de tenir le coup, mais elle voyait bien que son mari était de plus en plus absent, et il lui sortait diverses raisons. Boire un coup avec les collègues, les examens à préparer, trop de travail. Elle avait l’impression qu’il s’éloignait d’elle, mais dès qu’ils étaient entre eux, elle retrouvait celui qu’elle avait épousé.

Un miracle ne tarda pas à pointer le bout de son nez : un petit être grandissait dans le ventre de Judith, qui approche de ses trente-quatre ans. La joie et le bonheur se lit dans ses yeux à cette nouvelle alors que tout espoir était perdu, alors qu’il en est tout autre pour son mari. Il paraissait terrifié, et Judith mis cela sur le compte de la soudaine surprise qu’il allait être réellement père d’ici quelques mois. Ce n’était pas rien, c’était un de leur projet qui se concrétisait, d'autant plus de façon inattendu, et elle comprenait sa peur. Le premier trimestre de grossesse se passa sans incident particulier, jusqu’à cette fameuse nuit de mai. Judith en étant à son cinquième mois de grossesse, et malgré les inconvénients et sa hâte de faire connaissance avec ce petit être, elle savourait sa grossesse, heureuse comme elle ne l’avait jamais été malgré sa vie paisible. Cette fameuse nuit, elle fut réveillée, surprise de se retrouver couverte d’un liquide à l’odeur prenante qu’est l’essence. Elle ne comprit pas immédiatement ce qu’il se passait, ne sachant si elle rêvait encore ou non. Tout se passa extrêmement vite. Une flamme apparu dans l’obscurité de la chambre, dont Judith arriva à distinguer plusieurs silhouettes autour du lit, puis celui-ci qui s’embrasa ainsi que son corps. A ce moment-là, elle aperçut son mari tandis que les flammes la mangeait. Elle le vit croiser son regard, puis faire demi-tour et quitter la pièce avec ses deux acolytes qu’elle ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve. L’instinct de survie lui a sans doute sauver la vie, car, malgré la panique qui montait progressivement en elle de peur d’y rester, elle pensa à son enfant qui n’était pas encore né et qui subissait déjà un tel acte d’atrocité. Elle voulait qu’il vive, qu’ils vivent tous les deux. Son esprit était submergé par le visage impassible de son mari qui revenait sons cesse.

Judith fut retrouvée inconsciente une à deux heures après cet évènement, aux premières heures du matin, dans la fontaine qui se trouvait devant chez elle, suite à l'appel des voisins inquiets par la fumée provoquée par l'incendie de la maison. A son réveil, quelques jours plus tard, on lui appris qu’elle avait malheureusement perdu son bébé, mais qu’elle s’en sortait avec des brûlures uniquement sur le bas du corps, les autres étant superficielles contrairement à son ventre et ses jambes qui garderaient des cicatrices à vie. A cette annonce, elle eut envie d'hurler mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle avait perdu son bébé. Elle n'avait pas réussi à le sauver. Il n'était même pas né qu'il était mort, dans son ventre. Le chagrin de cette perte la plongea dans une dépression dont elle a eu du mal à s'en sortir. Elle eut la visite des forces de l’ordre qui lui posèrent des questions, mais elle ne sut que répondre « Mon mari.. Mon mari m’a trahi ». Elle n’arrivait pas à expliquer ce geste de sa part, mais l’expression il n’y a qu’un pas entre l’amour et la haine était véridique. Elle resta plusieurs mois hospitalisé et suivi par un psychologue, tandis que l’enquête suivait son cours. Un jour, elle reçu la visite du FBI  qui lui indiquèrent qu’ils avaient pu arrêté son mari, dans un état du Nord des Etats-Unis, prêt à quitter le pays. Il n’avait prononcé aucun mot, mais les policiers soupçonnaient qu’il fasse partie d’une secte dont Judith ne se souvient plus du nom, mais qui procédait souvent par des homicides de ce genre. Pour répondre à la question du pourquoi de Judith, ils n’en étaient pas certains, mais suite à leurs différentes recherches sur cette secte, ils pensent que son mari a du prendre ce miracle de maternité pour un signe satanique. Ces mots, Anastasia se les remémorait sans cesse. Comment avait-elle pu ne rien voir ? Était-elle si aveuglée par l’amour pour ne pas voir qui était réellement son mari ? Le temps continua à passer, mais elle avait l'impression d'être bloquée dans l'espace-temps. Elle réussit cependant à transformer sa dépression suite à la perte de son bébé en une force, grâce aux thérapies qu'elle suivait. Cette force de continuer à vivre, elle l'avait pour lui, ce petit être innocent qui l'aurait rempli de bonheur, elle en était certaine. Peu avant sa sortie de l'hôpital, soit environ deux ans après son insertion, elle apprit que son mari, qui était toujours derrière les barreaux, s'était donné la mort. Il avait déjà fait plusieurs tentatives, sans succès, et cette fois-ci, il avait réussi. Ce fut un certain soulagement pour Judith, mais elle ressentit également de la colère, une colère qui grondait en elle car en faisant cela, il n'allait pas répondre de ses actes et justice ne sera pas faite. Et elle pensait surtout à son bébé pour cela. Le corps médical et le FBI lui conseillèrent de changer d’identité et de partir sans laisser de trace, au cas où, car sa survie suite à cette tragédie avait été médiatisé sans pour autant de précision sur l'endroit où elle avait été placé par sécurité et même si son mari était à présent plus de ce monde, les autres membres de la secte pouvaient décider de finaliser cet acte ou de lui faire des représailles. Ils allaient donc annoncer à la presse que Judith Cooper était décédée suite à ses blessures, tandis qu’Anastasia Lynch naissait d’entre les cendres d’anciennement Judith. C'est ainsi que la colère laissa place à la tristesse. Elle décida de s’installer à Brindleton Bay, à l’autre bout du pays, une île qui semblait paisible et qui pouvait peut-être lui permettre de recommencer sa vie à zéro, ayant pourtant déjà vécu trente sept années sur Terre. Dans le peu d'affaires qu'elle décida d'emmener avec elle, se trouvait la première échographie - qui avait étonnement échappé aux flammes - de l'être qu'elle n'avait jamais pu connaître et pourtant qu'elle aimait déjà et pour toujours.